J'avais vu l'entrevue de Nelly Arcan à Tout le monde en parle un beau dimanche de septembre en 2007, comme ça, purement par hasard. C'était une de ces rares fois où j'avais regardé l'émission. Étrangement, ça m'avait marquée. J'en avais ensuite parlé avec mon copain, plusieurs années plus tard, et lui aussi s'en souvenait.
Il faut dire qu'avant l'entrevue, j'avais vu des affiches de l'écrivaine apposées sur les murs de la bibliothèque où je travaillais à ce moment faisant l'éloge de son livre Putain. Je m'étais promis de ne pas le lire puisqu'il semblait utiliser comme beaucoup trop d'autres le sexe comme outil principal de marketing.
En la voyant arriver à Tout le monde en parle, j'avais été intriguée de découvrir cette auteure à l'allure provocatrice dont tout le monde semblait justement parler. Blonde teinte et mince à la robe moulante, à la poitrine assez généreuse, au décolleté plongeant et à l'attitude pseudo-séductrice-on-sait-pas-trop, je me suis dite qu'il n'était pas surprenant qu'une femme comme ça ait écrit un livre intitulé Putain et me suis pratiquement demandée si elle n'avait pas écrit là une autobiographie.
J'ai donc écouté l'entrevue où Nelly Arcan dénonçait la consommation de la féminité et où les animateurs se moquaient en disant que ses propos étaient contradictoires avec ce qu'elle portait. Et j'avais opiné énergiquement du chef devant mon téléviseur.
Le pire, c'est qu'elle ne semblait pas s'en rendre compte. Et c'est ça, ultimement, qui m'avait troublée. Il faut, je crois, jusqu'à un certain point, s'assumer. Porter une telle robe et avoir une telle attitude et s'attendre à des éloges sur autre chose que son corps est presqu'impossible. Dany Turcotte avait même blagué que même lui avait de la difficulté à lui regarder le visage, malgré son orientation sexuelle. Mais elle semblait perdue, comme si ce qu'elle portait était la chose la plus naturelle du monde et qu'aucune contradiction n'était faite.
Combien de femmes font la même chose? Combien se disent féministes puis font ce qu'elles critiquent?
J'avais passé du dégoût initial à une sorte de pitié pour Nelly Arcan. Et je me souviens avoir pensé que la cause féminine continuait de reculer avec des figures de proue comme la sienne.
Paradis, clef en main
Je croyais que cette histoire était close lorsque j'ai appris, par les écrans du métro, la mort de l'écrivaine. Ma première réaction était de la non-surprise et presqu'un "Évidemment". Dur de juger quelqu'un sur une simple entrevue, mais encore, elle m'avait faite une assez forte impression et c'était un geste, certes malheureux, qui cadrait avec le personnage. Pas si surprenant quand on y pense, mais encore, étrange. Ça ne me laissait pas indifférente.
À la bibliothèque, son livre posthume Paradis, clef en main était disponible. Un livre sur le suicide écrit par une suicidée? Je n'ai pu résister à céder à la curiosité morbide tout en m'excusant et en me disant que je voulais surtout voir si l'écriture de l'auteure valait toute la médiatisation ou si c'était, ultimement, son apparence physique qui était son meilleur atout.
J'ai été impressionnée par ma lecture. Style impeccable, tranchant, idées d'une femme intelligente. J'y trouvais même un terrain d'entente. Avec soulagement, je constatais que j'avais mal jugé l'écrivaine. Son apparence physique exagérément sexuée et ses propos maladroits à l'émission ne rendaient pas justice à la profondeur et l'intelligence de son écriture.
La honte
Il y a deux jours, je vois sur un journal recyclé comment Guy A. Lepage est (encore) impliqué dans un scandale et c'est par hasard, sur le Metro en ligne, qu'en cliquant sur un lien qui devait me mener à un autre article, je tombe sur celui-là. Nelly, encore Nelly.
Il est rare qu'on puisse voir comment quelqu'un jugé publiquement se sent à l'intérieur. Le personnage de Nelly Arcan, plusieurs années après sa mort, s'exprime et continue, à sa façon, de scandaliser. Victime de son propre marketing, elle ne peut reposer en paix et nous laisse seuls, nous qui l'avons pointée du doigt, avec ses mots et ses impressions.
Voici trois citations de sa nouvelle, La honte, que je me permets de copier ici :
« Tu n’apparaissais pas comme ça à l’écran. On dirait que tu portes une robe différente de celle que tu portais à l’émission », affirma Mélanie quelques jours après que Diane et Caroline se furent prononcées.
« Le verdict du décolleté déplacé s’abattrait à nouveau sur elle par la reconnaissance des autres mais aussi sur le verdict déjà en place. »
« La question stupide demandait en retour de l’esprit mais l’esprit l’avait déserté au profit de son visage filmé qui souffrait. Avait-elle répondu quelque chose ? Oui, mais elle ne savait plus quoi. »
Toutes ces critiques adressées au téléviseur et échangées avec mon copain trouvent dans son texte leur réponse. Et à ça, je réponds qu'ultimement, une mauvaise entrevue peut arriver à tout le monde. Mais que l'on est mieux d'être soi-même si l'on ne peut accepter d'être un personnage que l'on ne peut pas être.
Après un deuxième visionnement de l'entrevue
Au deuxième visionnement, le trouble de l'écrivaine est encore plus visible, ses contradictions encore plus grossières, son décolleté encore plus plongeant et ses explications toujours aussi décousues.
Mais au lieu de la bêtise, je vois maintenant de la fragilité. Elle ne semblait décidément pas prête à une telle aventure. Qui le serait vraiment?
Il est vrai qu'il y avait sur le plateau l'ironie habituelle réservée à tous les invités et que les questions portaient davantage sur des citations pouvant porter à préjudice. Pourtant, lorsque l'auteure avoue que son oeuvre porte de prime et d'abord sur le sexe, il n'est pas déplacé pour un animateur de poser des questions sur le sujet. Il en aurait été probablement totalement autrement si ses romans avaient traité de la guerre ou encore de la survie en forêt. J'ai même eu l'impression que les animateurs la ménageaient. Mais à chaque perche qu'ils lui tendaient, elle s'engouffrait dans un nouveau trou, victime de son manque de confiance ou de son stress.
Je ne crois pas qu'ils ont manqué de gentillesse et d'indulgence. Il y en a eu un peu. Ils ont même coopéré à certains de ses arguments (frenchage étant un statement et le culte de l'image atteignant les hommes aussi).
Les écrits restent, mais en même temps, on change tous d'idée, on a tous exagéré un jour ou l'autre, on évolue. Doit-on rester prisonniers de ses paroles et gestes jusqu'à la fin de ses jours? Nous sommes décidément plus dans l'ère du faire que de l'être.
Je ne peux que me ranger du côté de l'idée exprimée sur la carte de Dany Turcotte : "Dans vos livres vous dénoncez le culte de la beauté, la chirurgie plastique et le désir de plaire à tout prix, on peut donc conclure que votre devise est faite ce que j'écris, mais ne faites pas ce que je vis."
Quand une histoire qui commence par hasard se poursuit de cette façon (comme une petite saga), ça vaut la peine de s'arrêter pour y penser. Je crois que je vais lire Putain.
J'ai publié un commentaire sur le site de Tout le monde en parle : http://www.radio-canada.ca/emissions/tout_le_monde_en_parle/saison8/document.asp?idDoc=173106#commenter
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